National | Communiqué de presse

Hausse du dollar, hausse des taux d’intérêt, baisse des fermières

21 juin 20/07

Deux nouvelles économiques parues la semaine dernière sont de mauvais augure pour les fermières, et toutes deux sont liées à des facteurs qui échappent largement à leur contrôle. L’un d’eux est la hausse continue du dollar canadien par rapport à son homologue américain. Le dollar a frôlé les 92 cents américains, un niveau jamais atteint depuis 1977. De nombreux analystes estiment que le huard pourrait atteindre la parité avec le dollar américain avant la fin de l’année 2007. La deuxième nouvelle concernait le taux d’inflation au Canada. Le taux d’inflation de base a atteint 2,5 % en avril, ce qui renforce les spéculations sur un relèvement des taux d’intérêt par la Banque du Canada.

Ces deux situations ont de graves répercussions sur la ferme. Sur les marchés internationaux, le prix des céréales est principalement fixé en dollars américains. Ainsi, chaque augmentation de la valeur du dollar canadien diminue effectivement la valeur des céréales canadiennes sur les marchés d’exportation. Si le dollar canadien atteint la parité avec la devise américaine, les prix des céréales canadiennes pourraient effectivement baisser de 18 dollars par tonne. (Imaginez le tollé si les taux de fret augmentaient autant en un an). Les conséquences sont tout aussi graves pour le prix des porcs, puisqu’une grande partie de la production canadienne est exportée vers les États-Unis. Souffrant déjà de la hausse des prix des aliments pour animaux, les fermiers du secteur porcin verront leur industrie dévastée par la hausse du dollar. Les prix des bovins seront également affectés, car les États-Unis sont un client important pour les bovins gras et les bovins d’engraissement. La hausse du dollar canadien entraînera une baisse des prix des veaux cet automne.

En plus des difficultés du dollar, la Banque du Canada est prête à augmenter les taux d’intérêt pour freiner la croissance économique du Canada et, par conséquent, l’inflation croissante. Les exploitations agricoles du Canada doivent actuellement quelque 52 milliards de dollars aux prêteurs, soit sept fois plus qu’en 1981. Une hausse de 1 % des taux d’intérêt amputerait de 500 millions de dollars les revenus déjà faibles des fermières.

Les médias canadiens ont semblé se réjouir de la hausse du dollar, d’une manière un peu loufoque. L’idée que nous pourrions bientôt égaler le dollar américain semble susciter une sorte de fierté perverse chez les gens qui jacassent à la radio. Ils semblent ignorer les graves conséquences pour les fermières. Une recherche dans les nouvelles sur la hausse du huard et les hausses imminentes des taux d’intérêt n’a pas permis de trouver des références aux effets sur l’agriculture. Les journaux se sont plutôt attardés sur les mauvaises nouvelles pour les fabricants canadiens, l’industrie du tourisme et la sylviculture. Les analystes ont également trouvé de bonnes nouvelles dans la hausse du dollar, qui rendrait les voyages aux États-Unis moins onéreux et devrait faire baisser le coût des biens de consommation importés.

Plutôt que de se réjouir de la hausse du huard, les politiciens canadiens devraient réfléchir à la sagesse d’un pays comme la Chine, où le contrôle des changes a permis de maintenir le yuan à un faible niveau par rapport au dollar américain. Il en résulte un marché d’exportation en plein essor et une économie en pleine effervescence. Les Américains eux-mêmes ne semblent pas s’inquiéter de la déflation de leur monnaie. En fait, leur secteur manufacturier est plus compétitif par rapport aux importations et leur secteur agricole en a grandement bénéficié.

Pour ne rien arranger, la hausse du dollar et des taux d’inflation au Canada provient en grande partie de la province de l’Alberta. L’économie florissante de l’Alberta fait grimper en flèche les prix de l’immobilier, un facteur clé des indices d’inflation. L’Alberta a l’économie la plus forte du Canada, et la hausse du huard s’explique en grande partie par la montée en flèche du prix du pétrole. La province à l’origine de ces changements économiques est celle qui peut le mieux en supporter les effets, et donc celle qui en souffrira le moins. Le reste du Canada paiera le prix de la prospérité de l’Alberta.

Même les fermières de l’Alberta seront moins touchées que celles du reste du Canada. Soutenu par d’énormes revenus pétroliers, le gouvernement de l’Alberta verse à ses fermières des sommes que d’autres provinces ne peuvent espérer imiter.

L’idée d’augmenter les taux d’intérêt pour freiner l’inflation m’a toujours semblé contre-intuitive. Toutes les entreprises ont recours au crédit. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, le coût de production des biens augmente en raison de la hausse du coût du crédit. La plupart des entreprises sont en mesure de répercuter l’augmentation des coûts sur leurs clients en augmentant le prix de leurs produits. Bien entendu, cela augmente l’inflation ! Les fermières, à l’exception des secteurs soumis à la gestion de l’offre, ne peuvent pas répercuter les hausses de coûts. Ainsi, l’augmentation du coût des intrants, due à la hausse des taux d’intérêt, repose directement sur leurs épaules. Comme s’ils ne portaient pas déjà assez de fardeau…

Paul Beingessner