National | Lettre

Lettre sur la crise laitière de l’UE envoyée au commissaire à l’agriculture, M. Hogan

Fiche d’information : Le 1er avril 2015, l’Union européenne a mis fin à son système de quotas laitiers. La nouvelle politique reposait sur l’hypothèse que l’Europe exporterait du lait vers de grands marchés tels que la Russie et la Chine, et obtiendrait un accès accru au marché canadien des fromages fins via l’accord AECG. Ces marchés ne se sont pas matérialisés en raison de facteurs politiques et économiques. L’augmentation de la capacité de production s’est traduite, comme on pouvait s’y attendre, par un effondrement des prix. La situation est prolongée et grave, à tel point que le 18 juillet 2016, l’UE a alloué 500 millions d’euros supplémentaires (plus de 720 millions de dollars canadiens ) pour subventionner les fermières qui réduisent volontairement leur production de lait. Le site a écrit à la Commission européenne de l’agriculture pour l’encourager à adopter une meilleure solution : un système de gestion de l’offre à la canadienne.

22 juillet 2016

M. Phil Hogan,
Commissaire à l’agriculture et au développement rural
Commission européenne
Rue de la Loi / Wetstraat 200
1049 1049 Bruxelles, Belgique Courriel : phil.hogan@ec.europa.eu

Cher Monsieur Hogan,

Au Canada, nous observons de loin la crise du secteur laitier de l’Union européenne suite à l’élimination des quotas de production le 1er avril 2015. Les médias rapportent que les prix du lait à la production ont chuté – et sont restés – bien en dessous du coût de production dans vos États membres, en raison d’une offre de lait désormais supérieure à la demande. Les fermières qui en ont les moyens, ou qui peuvent obtenir un crédit, cherchent à améliorer leurs revenus en augmentant leur production, ce qui aggrave la surabondance et fait encore baisser les prix. Ceux qui n’ont pas les moyens de se développer s’endettent davantage, car leur travail quotidien leur fait subir des pertes de plus en plus importantes malgré leurs efforts. Au cours de l’année écoulée, les fermières d’Angleterre, de France, d’Allemagne et de Hongrie sont descendues dans la rue pour protester, car tous les autres moyens de protéger leurs moyens de subsistance et le fruit du travail de toute une vie semblent futiles.

Nous avons de la compassion pour vos fermières. Ceux qui se souviennent de notre histoire au Canada savent que la génération de fermiers laitiers de nos parents a connu des temps difficiles similaires au milieu des années 1900. Nous aimerions vous proposer la solution qui a été élaborée ici avec la sagesse, la prévoyance et la détermination des fermières et des responsables politiques, et qui fonctionne bien depuis plus de 50 ans. L’institution unique du Canada s’appelle la gestion de l’offre et elle protège les intérêts des fermiers, des transformateurs et des consommateurs de produits laitiers sans faire appel aux deniers publics. Elle permet aux fermières de recevoir une juste rémunération pour leur travail, leur gestion et leurs investissements grâce à la fixation du prix en fonction du coût de production ; aux transformateurs laitiers de bénéficier d’un approvisionnement fiable en lait à des prix prévisibles ; aux consommateurs de recevoir des produits laitiers sains et de grande qualité à des prix raisonnables et de ne jamais être confrontés à des pénuries. L’ensemble du système fonctionne sans un centime de subvention gouvernementale.

Le système de gestion de l’offre incarne la subsidiarité, la démocratie, les bons emplois et les moyens de subsistance équitables. Chaque province canadienne possède son propre office de commercialisation du lait, dirigé par des fermiers élus par leurs pairs. Les paramètres de l’autorité de ces conseils sont définis par la législation fédérale globale ainsi que par les lois et règlements correspondants de chaque province. Le secteur laitier offre aux fermières des moyens de subsistance décents et prévisibles, leur permettant d’investir dans des technologies respectueuses de l’environnement, d’utiliser des pratiques de gestion durables et d’employer des travailleurs locaux à des salaires décents. Chaque province possède ses propres installations de transformation laitière, ce qui réduit les transports (et les gaz à effet de serre associés) nécessaires à la production de produits laitiers destinés aux consommateurs canadiens dans l’ensemble du pays.

Le système de gestion de l’offre repose sur trois piliers : le contrôle des importations, la discipline de production et la fixation des prix en fonction des coûts de production. Chaque pilier est nécessaire. Nous devons contrôler les importations (au moyen de barrières tarifaires) afin de prévoir avec précision la quantité de produits laitiers dont notre marché a besoin. Cela signifie également que notre marché laitier n’est pas soumis aux aléas politiques et économiques des marchés d’autres pays, qui échappent à notre contrôle. Les fermières doivent accepter une discipline de production obligatoire afin de fournir suffisamment, mais pas trop, de lait pour les besoins du pays. Les fermières sont disposées à limiter leur production parce que le prix qu’elles reçoivent par litre est déterminé chaque année au moyen d’une formule de calcul des coûts de production qui encourage l’efficacité. Grâce à ces principes de base, nous continuons à avoir un secteur laitier dont la taille moyenne des troupeaux n’affecte pas les écosystèmes locaux ni le bien-être des animaux. La stabilité des revenus des fermières laitières constitue souvent un point d’ancrage économique dans leurs communautés lorsque d’autres produits ou industries agricoles connaissent une certaine volatilité et des revenus précaires. Ainsi, notre système de gestion de l’offre contribue à l’emploi rural, à la qualité de vie et à la cohésion sociale en plus de ses contributions économiques.

M. Junker, président de la Commission européenne, a rappelé que les chômeurs représentent l’équivalent d’un 29e État dans votre Union. Si elle n’est pas maîtrisée, votre crise laitière entraînera encore plus de chômeurs. Pourtant, comme on le dit souvent, une crise peut devenir une opportunité si elle est utilisée de manière créative. Nous vous encourageons à amener l’Europe à adopter un système de gestion de l’offre à la canadienne. Elle résoudrait de multiples problèmes, à commencer par la crise des revenus dont souffrent vos fermières laitières. Elle soulagerait également les trésors publics de vos États membres du fardeau que représente le maintien de prix trop bas par des subventions, et elle garantirait aux consommateurs européens la possibilité d’obtenir de manière fiable tous les produits laitiers sains dont ils ont besoin à des prix équitables.

N’hésitez pas à me contacter si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur le système canadien de gestion de l’offre (qui, soit dit en passant, s’applique également aux secteurs du poulet, de la dinde, des œufs et des œufs à couver).

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués,

Jan Slomp
Président, (Canada)