Nos pensions mettent-elles fin à l’exploitation agricole familiale ? Op Ed by Matt Gehl
Ces dernières années, les fonds de pension ont commencé à acheter des terres agricoles dans le monde entier, y voyant un investissement sûr et à long terme. Des sociétés d’investissement dans les terres agricoles comme AgCapita, Assiniboia Capital, Bonnefield Financial et Prairie Merchants sèment les graines de la spéculation dans les Prairies. La Saskatchewan, avec le faible prix des terres et une population agricole âgée en moyenne de 58 ans, s’annonce comme un terrain très fertile pour eux.
Ces sociétés d’investissement gèrent déjà des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles en Saskatchewan. Plusieurs cherchent à attirer des « investisseurs institutionnels » tels que des fonds de pension et des fonds communs de placement éligibles à un REER pour financer d’autres achats de terres. AgCapita, qui, en 2011, avait acheté pour 12,8 millions de dollars de terres agricoles en Saskatchewan, est admissible au REER. Deux fonds communs de placement REER, Golden Opportunities et SaskWorks, ont investi dans des fonds d’investissement en terres agricoles. SaskWorks a investi 20 millions de dollars dans Agco Ag Ventures, et Golden Opportunities a injecté 3,5 millions de dollars dans Assiniboia Capital (via ADC Enterprises) ainsi que 2,5 millions de dollars dans Input Capital Limited Partnerships, une division d’Assiniboia. Une partie du financement de l’acquisition par Assiniboia Capital de plus de 115 000 acres à travers le Canada a été fournie par la Société du crédit agricole, qui est financée par Ottawa et verse des dividendes au gouvernement fédéral.
Ces sociétés ciblent les fermières qui prennent leur retraite et celles qui souffrent des niveaux d’endettement élevés apparemment inhérents à l’agriculture moderne. En attendant que le prix de vente de ces terres atteigne un niveau suffisamment rentable, les sociétés d’investissement louent les terres aux fermières. En général, cela se fait sur la base d’un loyer en espèces, où tous les risques quotidiens de l’exploitation agricole sont supportés uniquement par la fermiere. Cette situation présente des similitudes avec celle de l’Europe du 19e siècle – une situation qui, ironiquement, a conduit de nombreux Européens à déraciner leur famille et à s’enfuir pour s’installer au Canada.
Les agriculteurs qui prennent leur retraite sont confrontés à un choix : chercher à transmettre leurs terres à un autre fermier de la famille, en acceptant éventuellement un prix inférieur à la valeur maximale, ou vendre au plus offrant sans se préoccuper de l’héritage de la terre. Les fermières qui prennent leur retraite devraient être heureuses au crépuscule de leur vie ; les citadins dont les pensions sont investies dans des terres agricoles sont satisfaits des perspectives à long terme de leurs fonds de retraite ; les sociétés d’accaparement des terres sont heureuses de prendre leur part, car la valeur des terres et les loyers ne cessent d’augmenter. Mais comment pouvons-nous espérer que les jeunes Canadiens envisagent de devenir fermiers ? La réalité incontournable est qu’aujourd’hui, il n’y a pas assez de jeunes fermières et fermiers. Les fermières et fermiers de moins de 35 ans ne représentent que 8 % de la population agricole, ce qui pose la question suivante : « Qui travaillera la terre à l’avenir ? » Qui cultivera notre nourriture ?
C’est là que la vision à long terme de la planification de la retraite semble avoir un angle mort. La spéculation sur les terres agricoles met déjà le coût des terres hors de portée de nombreux fermiers désireux de démarrer ou d’étendre leur exploitation, ce qui permet aux sociétés d’investissement disposant de millions de dollars de capitaux d’être encore mieux placées pour accroître leur patrimoine foncier. Si un plus grand nombre d’entre eux sont en mesure de générer des fonds d’investissement par le biais de REER, ce cycle se poursuivra. Alors que les politiques et les allègements fiscaux qui encouragent les Canadiens à planifier leur retraite de manière responsable sont essentiels, il y a un manque évident de planification pour la prochaine génération de fermières. Les exploitations familiales ont constitué l’épine dorsale de l’agriculture canadienne tout au long de notre histoire et, aujourd’hui, elles sont exclues du marché de l’actif le plus essentiel : la terre.
En l’absence d’un plan et de politiques garantissant que la prochaine génération de Canadiens pourra perpétuer notre fière tradition agricole, le seul avenir qui s’offre à l’agriculture canadienne est celui des exploitations agricoles les plus grandes et les plus complexes, éparpillées dans une prairie de plus en plus vide. Cet avenir n’est pas de bon augure pour la sécurité et la souveraineté alimentaires du Canada, et il n’est certainement pas prometteur pour les exploitations agricoles familiales. Ce n’est pas l’avenir que je souhaite pour le Canada.
Dans « L’apprentissage de Duddy Kravitz », Mordecai Richler a écrit : « Un homme sans terre n’est personne. Ne l’oubliez pas, Duddel ». Je me demande ce que le grand-père de Duddy dirait d’un fermiere qui n’a pas de terre ?
Matt Gehl, 28 ans, est membre du conseil d’administration de et exploite une ferme céréalière avec sa famille près de Regina.