Policy

Créer les bases d’un système alimentaire post-pandémique respectueux du climat pour les Canadiens

Soumission de l’Union Nationale des Fermiers en amont du budget fédéral 2021.

La toute première politique alimentaire pour le Canada a été annoncée en 2019 à l’issue d’un processus de consultation approfondi auquel ont participé des dizaines de milliers de Canadiens pendant deux ans. Il s’agit d’une plateforme de collaboration entre les gouvernements et les organisations de la société civile qui œuvrent en faveur d’un système alimentaire résilient, diversifié et abondant. Sa vision est la suivante : « Tous les habitants du Canada ont accès à une quantité suffisante d’aliments sains, nutritifs et culturellement diversifiés. Le système alimentaire canadien est résilient et innovant, il préserve notre environnement et soutient notre économie ».

La pandémie COVID 19 constitue un test de résistance réel pour notre système alimentaire, révélant les lacunes et les faiblesses ainsi que les forces et la résilience, mettant en évidence les besoins et les opportunités qui nécessitent un financement dans le budget 2021.

L’incertitude mondiale, notamment en ce qui concerne la capacité du plus grand partenaire commercial du Canada à gérer la pandémie, affectera sans aucun doute la disponibilité et les prix des denrées alimentaires pour les consommateurs, les emplois et les salaires des travailleurs du secteur alimentaire, ainsi que les revenus de nos fermières. L’impact immédiat le plus spectaculaire de la pandémie a touché trois grands secteurs de l’alimentation et de l’agriculture au Canada : les exploitations à forte intensité de main-d’œuvre, le bétail et la viande, et l’alimentation locale. Les répercussions des difficultés économiques liées au COVID pour les acheteurs et les consommateurs peuvent avoir des effets négatifs sur les producteurs de céréales et d’oléagineux.

Il est certain que les Canadiens ont besoin de manger tous les jours et que nos terres agricoles peuvent fournir des aliments en abondance pour la consommation intérieure ainsi que pour les clients de nos marchés d’exportation. Elle ne peut le faire conformément à la vision de la politique alimentaire pour le Canada que si les structures et les systèmes nécessaires sont mis en place et maintenus. Contrairement à l’allocation quinquennale de 134 millions de dollars pour la mise en œuvre de la politique alimentaire pour le Canada, le Partenariat canadien pour l’agriculture a été doté de 3 milliards de dollars sur cinq ans dans le budget 2019. Le budget 2021 peut remédier à ce déséquilibre en alignant le financement de la PAC sur la vision de la politique alimentaire.

Nous félicitons le gouvernement d’avoir rapidement mis en place des mesures pour répondre aux besoins sanitaires et économiques des résidents canadiens pendant la pandémie. Nous sommes également au cœur d’une crise plus longue, mais plus grave et d’une plus grande portée : le changement climatique mondial. Le budget 2021 doit financer des mesures spécifiques pour faire face à la crise climatique qui affecte l’agriculture canadienne, et appliquer un filtre climatique à toutes les mesures budgétaires afin d’éviter les incitations perverses et les lacunes qui accéléreraient le réchauffement de la planète.

La troisième crise – la baisse à long terme du revenu agricole net – continue à chasser les fermières de leurs terres, à forcer les familles agricoles à dépendre de revenus non agricoles pour survivre et à promouvoir la propriété absente. Le budget 2021 doit également veiller à augmenter le nombre de fermières et de fermiers, en particulier ceux qui sont autochtones, noirs, de couleur, jeunes et/ou femmes, et à promouvoir des revenus agricoles fiables et viables afin qu’ils puissent réussir à long terme. En réglant le problème des revenus agricoles et en réduisant l’endettement des exploitations, les fermières pourront réaliser des investissements et modifier leurs stratégies de gestion afin de devenir moins vulnérables aux effets du climat, aux pandémies et à d’autres crises.

Ces trois crises peuvent être résolues par des investissements publics dans la production alimentaire nationale et la capacité de transformation, par une refonte complète des programmes de gestion des risques de l’entreprise (GRE) afin de fournir des filets de sécurité pertinents et équitables aux agriculteurs de toutes tailles et de tous types, et par une réorientation des flux d’investissements stratégiques du Partenariat canadien pour l’agriculture (PAC) afin de soutenir la transition vers un système alimentaire qui assure des moyens de subsistance durables aux fermières, la santé des consommateurs, la durabilité environnementale, la prospérité rurale et l’emploi dans le secteur alimentaire, en conformité avec l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets.

Renforcer les capacités du marché intérieur
Dès l’annonce des mesures de verrouillage, les fermières ont connu une hausse spectaculaire de la demande de produits locaux. Les marchés fermiers ont rapidement été déclarés services essentiels. De nombreux fermiers ont mis en place des systèmes de commande et de livraison/enlèvement en ligne pour continuer à servir leurs clients. Les fermières ont dû décider d’augmenter leur production sans savoir si la hausse de la demande allait se poursuivre. Aujourd’hui, il semble que les consommateurs soient déterminés à acheter davantage de produits alimentaires canadiens. La réaction des consommateurs au rappel d’oignons rouges importés contaminés par des salmonelles souligne le désir d’acheter canadien et de soutenir les fermières canadiennes. De même, les maladies et les décès évitables parmi les travailleurs étrangers temporaires dans les grandes usines de conditionnement de la viande et dans les exploitations agricoles, combinés au gaspillage des produits en raison du manque de main-d’œuvre pour récolter les cultures périssables, soulignent l’urgence d’améliorer notre système.

Le budget 2021 devrait donc développer les capacités de production, de transformation et de distribution pour servir le marché intérieur. Si un tiers des importations alimentaires du Canada étaient produites sur le territoire national, 15 milliards de dollars de denrées alimentaires pourraient favoriser la diversification économique et la revitalisation rurale grâce à des aliments sûrs, nutritifs et culturellement diversifiés, produits par un nombre beaucoup plus important de fermières et de fermiers canadiens.

Le budget 2021 devrait augmenter les fonds de mise en œuvre de la politique alimentaire du Canada et réaffecter les fonds d’investissement stratégique de la PAC et les fonds provinciaux ciblés à frais partagés :

  • Augmenter le nombre et la capacité des abattoirs locaux et régionaux en
    – fournir des fonds de transition aux propriétaires et aux futurs propriétaires,
    – accélérer la mise en place de réglementations en matière de sécurité alimentaire adaptées à l’échelle,
    – former davantage de bouchers et d’inspecteurs,
    – l’accélération de la réautorisation des abattoirs récemment fermés, et
    – encourager les installations multi-espèces qui faciliteront la diversité de la production animale.
  • Développer la capacité des institutions alimentaires locales à fournir des installations de transformation, de stockage et de distribution agrégées au profit des producteurs à plus petite échelle. Les bénéficiaires éligibles sont les coopératives communautaires multipartites, les plateformes alimentaires, les marchés de producteurs et les associations de producteurs, qu’ils soient déjà établis ou nouvellement créés. Les fonds alloués en 2019 à cette fin dans le cadre du Fonds pour l’infrastructure alimentaire locale sont insuffisants pour répondre aux besoins, les demandes du premier tour dépassant l’allocation totale sur cinq ans.
  • Réformer les programmes de travailleurs étrangers temporaires et veiller au respect des règles afin de garantir aux travailleurs des conditions de travail et de vie sûres, la possibilité de changer d’employeur et de s’exprimer sans crainte d’être expulsés, ainsi que le droit au statut de résident permanent à l’arrivée.
  • Investir dans le développement de la main-d’œuvre agricole résidant au Canada afin que les exploitations agricoles soient moins dépendantes des travailleurs étrangers. Les collèges, les cours et les possibilités de formation doivent être soutenus et reconstruits afin d’offrir davantage de possibilités d’emploi aux jeunes qui souhaitent travailler dans les exploitations agricoles.

Agri-stabilité
Le graphique de droite montre que les plus grandes exploitations agricoles bénéficient de manière disproportionnée des paiements de programmes tels qu’Agri-stabilité. Seuls 4,1 % des exploitations agricoles du Canada se situent dans la catégorie des revenus annuels supérieurs à 2 millions de dollars, mais elles ont reçu 41,4 % des paiements au titre du programme en 2018. 60 % des paiements au titre du programme sont allés à moins de 11 % des fermes, tandis que la catégorie de revenus de 100 000 à 250 000 dollars, qui compte le plus grand nombre de fermiers, soit 28 935 fermes ou 13 % des fermes, a reçu un peu plus de 11 % des paiements au titre du programme.

Le budget 20201 doit réorganiser le cadre d’Agri-stabilité en revenant au seuil de perte de marge de 15 % et en supprimant le plafond de la marge de référence, qui limite les paiements en fonction des dépenses éligibles. Le programme actuel est utilisé par moins d’un tiers des fermiers canadiens, et il n’est d’aucune utilité pour les fermiers qui utilisent des stratégies d’agriculture mixte et/ou à faible consommation d’intrants respectueuses du climat. En tant que tel, ce programme n’est pas seulement injuste, mais constitue une incitation perverse en termes d’impact sur le climat et de nombre de fermières.

Gestion de l’offre
Au début de la pandémie, nos secteurs soumis à la gestion de l’offre ont subi un choc dans leurs systèmes de distribution et de traitement lorsque la demande des détaillants a explosé et que les produits conditionnés pour les restaurants ont pratiquement disparu. L’impact de la pandémie sur nos producteurs a été beaucoup moins important que dans les pays où il n’y a pas de gestion de l’offre, comme les États-Unis et le Royaume-Uni. Nos secteurs du lait, des œufs et de la volaille sont bien organisés et coordonnés, et ont été en mesure de s’adapter rapidement et de partager équitablement la charge des coûts et des pertes. Le système de gestion de l’offre est une institution résiliente, contrôlée démocratiquement, qui assure la sécurité alimentaire des Canadiens tout en garantissant des revenus agricoles viables et en conservant des milliards de dollars de denrées alimentaires dans notre économie. Les récents accords commerciaux – l’AECG, le CPTPP et l’ACEUM – ont pris ensemble 18 % du marché intérieur à nos fermières sous gestion de l’offre et ont augmenté leurs coûts de production.

Le budget 2021 doit veiller à ce que la conception des programmes d’indemnisation donne la priorité à l’augmentation du nombre de fermières de produits laitiers, d’œufs et de volailles qui gagnent des revenus viables en fournissant de la nourriture aux résidents canadiens. Le gouvernement fédéral doit s’engager à ne pas éroder davantage la gestion de l’offre dans les futurs accords commerciaux et saisir toutes les occasions de regagner des parts de marché nationales pour nos secteurs soumis à la gestion de l’offre.

Changement climatique
L’évolution rapide de la crise climatique entraîne de plus en plus de difficultés, d’incertitudes et de destructions. Ses effets sur l’agriculture et la production alimentaire au Canada affectent l’ensemble de l’économie. L’agriculture présente à la fois des problèmes et des opportunités : changer notre façon de cultiver peut réduire les émissions de GES, améliorer les revenus agricoles et réduire la fréquence et l’intensité des catastrophes qui nécessitent des fonds de récupération. Investir dans des solutions climatiques est une mesure budgétaire prudente. La complexité, l’urgence et l’importance des mesures climatiques exigent une réponse à grande échelle fondée à la fois sur la recherche scientifique et sur les valeurs d’intérêt public.

Le budget 2021 devrait prévoir des fonds pour développer et coordonner la recherche en faveur d’une production respectueuse du climat et à faible consommation d’intrants dans les stations de recherche et les universités d’AAC. Le budget 2021 devrait également prévoir des incitations fiscales et le financement de programmes destinés à promouvoir une plus grande diversité des exploitations agricoles par l’allongement de la rotation des cultures, le pâturage planifié du bétail, la réduction des intrants, la reconstitution des sols, la conservation des zones humides et la transformation à la ferme. Les avantages de l’adaptation au climat qui en résulteront stabiliseront les revenus agricoles et réduiront les indemnités d’assurance, ce qui diminuera le coût net de ces initiatives budgétaires tout en augmentant la prospérité rurale. Pour maximiser l’impact de ces mesures, le budget 2021 devrait mettre en place un programme national efficace de vulgarisation agricole afin d’aider les fermières à apprendre comment contribuer à atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre du Canada.

Recommandations :

1. Que le gouvernement mette en place un programme de financement d’au moins 125 millions de dollars par an pour augmenter le nombre et la capacité des abattoirs locaux et régionaux.

2. Que le gouvernement alloue au moins 75 millions de dollars par an au Fonds d’infrastructure alimentaire locale et qu’il élargisse ses critères d’éligibilité pour inclure les organisations établies et les nouvelles organisations.

3. Que le gouvernement réforme les programmes de travailleurs étrangers temporaires afin de garantir à tous les travailleurs des conditions de travail et de vie sûres, la possibilité de changer d’employeur et de s’exprimer sans crainte d’être expulsés, et la possibilité d’obtenir le statut de résident permanent à l’arrivée.

4. Que le gouvernement débloque 5 millions de dollars pour l’inspection annuelle obligatoire et l’application de la réglementation sur les TET dans tout le Canada.

5. Que le gouvernement investisse 15 millions de dollars dans des programmes et des installations de formation pour développer la main-d’œuvre agricole canadienne résidente.

6. Que le gouvernement fournisse 150 millions de dollars par an pour établir et gérer un programme national de vulgarisation agricole afin d’aider les fermières à atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre.

7. Que le gouvernement réorganise Agri-stabilité en revenant au seuil de perte de marge de 15 % et en supprimant le plafond de la marge de référence.

8. Que le gouvernement établisse des critères pour le programme de compensation de l’AECG de 1,75 milliard de dollars annoncé précédemment, afin de s’assurer qu’il se traduise par un plus grand nombre de fermes soumises à la gestion de l’offre et produisant des produits laitiers pour la consommation canadienne.

Tout ceci est respectueusement soumis par
L’Union Nationale des Fermiers
Août 2020