Soumission au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des Communes concernant
Impacts agricoles de l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne
5 décembre 2014
The () se réjouit de l’occasion qui lui est donnée de présenter son point de vue sur l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne. Le site est une organisation démocratique nationale non partisane composée de milliers de familles d’agriculteurs de tout le Canada qui produisent une grande variété de denrées, notamment des céréales et des oléagineux, du bétail, des produits laitiers, des fruits et des légumes. Le site a été fondé en 1969. Notre mandat est d’œuvrer en faveur de politiques conçues pour :
- promouvoir un système alimentaire reposant sur des exploitations familiales financièrement viables qui produisent des aliments de qualité, sains et sûrs ;
- encourager les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement qui protégeront nos précieux sols, l’eau, la biodiversité et les autres ressources naturelles ; et
- promouvoir la justice sociale et économique pour les producteurs de denrées alimentaires et tous les citoyens.
Le site maintient que l’AECG est inutile pour le commerce entre l’UE et le Canada, et qu’il limitera la capacité des gouvernements fédéraux, provinciaux et locaux élus à adopter des lois, des règlements, des politiques et des programmes dans l’intérêt du public canadien, des fermières et de notre environnement. Alors que les aspects liés au commerce de l’AECG ne profiteront pas aux fermières canadiennes, l’accord affaiblira la gestion de l’approvisionnement en produits laitiers et augmentera le contrôle des entreprises sur les semences et nos réglementations environnementales. La promesse d’un accès accru aux marchés européens du bœuf et du porc est largement fictive, et les fermières canadiennes seront obligées de rivaliser avec les généreuses subventions agricoles européennes qui dépassent de loin le soutien apporté par les programmes canadiens de protection sociale. Les fermières canadiennes gagneront peu, voire rien, et perdront beaucoup si l’AECG entre en vigueur.
L’AECG affaiblirait notre système de gestion de l’offre
L’Europe exporte plus de deux fois plus de fromage que le Canada n’en produit. L’UE remplira facilement tout quota supplémentaire prévu. En 2013, le Canada a produit 460 659 tonnes de fromage de toutes sortes. En 2013, l’UE a exporté 787 000 tonnes de fromage et de caillebotte.
L’UE bénéficie déjà d’un accès en franchise de droits à 13 608 tonnes du marché canadien du fromage. L’AECG lui accorde 18 500 tonnes supplémentaires. Actuellement, le Canada permet que 5 % de son marché du fromage soit comblé par les importations européennes et l’AECG ferait passer ce montant à 9 %. L’Europe n’aurait aucun mal à nous vendre davantage – ses exportations dépassent déjà la production totale du Canada (voir carte n° 1). Si le Canada élargit l’accès aux importations de fromage de l’UE, ce précédent permettra à l’Europe de demander plus facilement un accès encore plus large à l’avenir. Les producteurs canadiens perdraient en conséquence des parts de marché.
Le fromage est un produit laitier très concentré : il faut environ 10 kg de lait de consommation pour fabriquer 1 kg de fromage. Ainsi, l’augmentation de 18 500 tonnes de la part de l’UE sur notre marché du fromage représente une perte d’environ 185 000 tonnes de production de lait de consommation pour les fermières canadiennes. Une telle perte se répercuterait sur le secteur, entraînant une baisse des revenus des fermières laitières, une diminution du nombre d’exploitations laitières viables et une réduction du cheptel qui produit actuellement le lait utilisé pour la fabrication du fromage au Canada.
Le gouvernement fédéral a promis d’aider les producteurs laitiers qui perdent des parts de marché dans le cadre de l’AECG. Les détails de l’assistance, y compris le montant et la durée – et la question de savoir si cette assistance sera effectivement disponible – sont encore inconnus. Un programme de compensation réduirait l’impact financier immédiat sur les fermières, mais il représenterait un coût supplémentaire pour les finances publiques et n’entraînerait pas de retombées en termes d’emplois pour la transformation du lait au Canada.
Dans le cadre de la gestion de l’offre, les producteurs laitiers tirent leurs revenus du marché et n’ont pas besoin de subventions. Le graphique n° 2 montre que les producteurs laitiers obtiennent régulièrement un revenu décent du marché, tandis que pour les producteurs canadiens de viande bovine et porcine, les coûts de production dépassent les revenus du marché. Avec l’AECG, le Canada aidera le secteur laitier européen en lui donnant une plus grande part du marché, en particulier le marché à forte valeur (graphique n° 1), et en offrant aux fermières laitières canadiennes un chèque du gouvernement pour amortir la perte de leur revenu basé sur le marché.
L’UE subventionne ses fermières
L’UE dépense plus de 50 milliards d’euros (70 milliards de dollars canadiens) par an en subventions agricoles dans le cadre de la politique agricole commune. Les fermières européennes obtiennent environ 30 à 50 % de leurs revenus grâce à des subventions annuelles directes par acre, auxquelles s’ajoutent des paiements supplémentaires en cas de crise du marché, des prix ou de l’environnement.
En revanche, le Canada ne verse aucun paiement à l’acre et ne propose qu’un programme de filet de sécurité limité. Dans le cadre de Cultivons l’avenir 2, le nouveau seuil de déclenchement des programmes de protection sociale ainsi que l’éventail restreint des coûts éligibles à la couverture réduisent considérablement le montant de l’aide disponible pour les fermières canadiennes à partir de 2013.
Les fermières canadiennes de produits laitiers, d’œufs, de poulets et de dindes n’ont pas recours aux programmes de filet de sécurité de la gestion des risques de l’entreprise parce que le système de gestion de l’offre leur permet de tirer un revenu adéquat de la vente de leurs produits. Les ministres canadiens de l’agriculture ont déclaré à plusieurs reprises que les fermières devaient tirer leurs revenus du marché, et non de la boîte aux lettres. Il est peu probable que les fermières canadiennes bénéficient un jour de subventions à l’européenne.
Le Canada bénéficie déjà d’un accès inutilisé au marché de la viande bovine et porcine.
En 1996, le Canada a entamé un long conflit commercial au sein de l’OMC à propos de l’interdiction par l’Europe du bœuf produit à l’aide d’hormones de croissance. Le Canada a tenté de forcer l’UE à accepter les importations de bœuf produit avec des hormones de croissance. En 1997, le groupe spécial de l’OMC a décidé que l’interdiction des hormones constituait une barrière commerciale non tarifaire, mais l’Europe maintient l’interdiction en se fondant sur le principe de précaution en matière de santé. Le conflit s’est poursuivi jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé en mars 2011. En conséquence, l’UE paie au Canada des droits de douane plus élevés sur certains produits et accepte d’acheter au Canada du bœuf sans hormones. Nous pouvons désormais vendre 23 000 tonnes par an de bœuf sans hormones en franchise de droits. Pourtant, en 2013, nous n’avons vendu que 1 000 tonnes de bœuf (équivalent poids carcasse) dans l’UE.
Les secteurs canadiens de la transformation de la viande bovine et porcine sont très concentrés. Deux entreprises étrangères, Cargill (États-Unis) et JBS (Brésil), détiennent plus de 90 % de la capacité de conditionnement de la viande bovine inspectée par le gouvernement fédéral au Canada.
L’AECG ne lèvera pas l’interdiction de longue date de l’UE sur le bœuf produit avec l’utilisation d’hormones de croissance. L’UE importe la majeure partie de sa viande bovine du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay. Le Brésil a interdit l’utilisation d’hormones de croissance dans la production de viande bovine en 1991 afin de maintenir l’accès au marché européen. Notre concurrence vient donc d’Amérique du Sud. L’UE a importé 222 000 tonnes de viande bovine du MERCOSUR (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela) en 2013 (voir carte n° 2). L’UE a exporté 273 000 tonnes de viande bovine en 2013, principalement vers la Russie.
L’Europe interdit la viande de porc produite à l’aide de ractopamine (Paylean), un médicament qui favorise l’obtention d’une carcasse maigre et qui est couramment utilisé par les éleveurs de porcs canadiens et, de plus en plus, par l’industrie des parcs d’engraissement de bovins. Le Canada autorise la ractopamine dans la production porcine, mais l’ACIA propose des services d’inspection aux exportateurs de viande de porc exempte de ractopamine. Le Canada a accès à un contingent exempt de droits de douane de 7 000 tonnes de viande de porc dans le cadre de l’OMC et se voit également attribuer 4 624 tonnes de viande de porc à des niveaux tarifaires compris entre 233 et 434 euros par tonne. Le Canada bénéficie d’un accès supplémentaire à un contingent de 70 390 tonnes à l’échelle de l’OMC, aux mêmes niveaux tarifaires, soit 16 à 27 cents par livre au taux de change d’aujourd’hui (décembre 2014). En 2013, le Canada n’a exporté que 100 tonnes de viande de porc (équivalent poids carcasse) vers l’UE.
Le Canada possède des abattoirs qui répondent aux normes de l’UE. L’Europe a des exigences spécifiques en matière de santé et de sécurité alimentaire en ce qui concerne l’abattage et exige des mesures d’inspection et de traçabilité pour garantir que les animaux n’ont jamais été traités avec l’un des médicaments qu’elle a interdits. L’Europe reconnaît la compétence de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) pour fournir des services d’inspection des viandes qui répondent à ses exigences pour les exportateurs. Le Canada a la capacité réglementaire et technique de répondre aux attentes de l’Europe en matière de production de viande, mais nous n’avons que trois abattoirs agréés par l’UE pour le porc : Kanata Meats, F. Menard’s Agromex (qui vend au Mexique) et Du Breton ; et deux qui traitent le bœuf : Viande Richelieu et Canada Premium Meats.
Ces faits démontrent que le Canada a la capacité technique de desservir le marché européen et qu’il dispose d’un important contingent tarifaire non utilisé, mais que les secteurs canadiens de la production de viande bovine et porcine ne produisent pas le type de viande bovine et porcine demandé par les consommateurs européens. L’Europe n’a pas besoin d’importer de la viande de porc : elle est déjà le premier exportateur mondial avec plus de 2 millions de tonnes par an (plus que la production totale du Canada – voir carte n° 3). Il est peu probable que le Canada augmente de manière significative ses exportations de bœuf vers l’UE, car l’Europe a obtenu un approvisionnement sûr en bœuf sans hormones de la part des pays d’Amérique du Sud, dont les coûts de production sont faibles et qui ont interdit les hormones de croissance.
Renoncer à une part de marché précieuse dans le secteur laitier en guise d’échange supposé pour obtenir l’accès à un marché que nous avons déjà et que nous n’utilisons pas est une trahison envers les fermières canadiennes.
L’augmentation des exportations n’accroît pas les revenus des fermières
Les exportations agroalimentaires annuelles du Canada ont augmenté de façon spectaculaire, passant de moins de 2 milliards de dollars en 1970 à plus de 43 milliards de dollars en 2012, soit une multiplication par vingt. Comme le montre le graphique 3, le revenu agricole net total réalisé n’a pratiquement pas changé, passant de 1,2 milliard de dollars à 7,1 milliards de dollars au cours de la même période, soit six fois le niveau de 1970. Depuis 1971, le Canada a perdu près de la moitié de ses fermières. Le nombre d’exploitations agricoles est passé de 366 128 à 205 730 en 2011.
Du point de vue des fermières, la croissance des marchés d’exportation n’a pas apporté la prospérité promise. En raison des décisions politiques prises par les gouvernements au cours des dernières décennies, les secteurs de la viande bovine et porcine, ainsi que des céréales et des oléagineux, dépendent des exportations et sont donc soumis à la volatilité des prix en raison des fluctuations monétaires et des conditions de production dans d’autres pays. Le secteur laitier, quant à lui, est resté essentiellement un secteur national, grâce au soutien fédéral à des droits de douane élevés qui empêchent le dumping de lait importé à bas prix sur notre marché.
Le graphique n° 2 ci-dessus montre que les producteurs laitiers ont toujours réalisé des bénéfices, tandis que les producteurs de viande bovine et porcine ont été contraints de vendre en dessous du prix de revient. Le graphique 4 montre que les exportations de produits laitiers sont restées faibles et constantes au cours de la même période, tandis que les exportations de viande, d’animaux vivants et de produits à base de viande ont augmenté. Augmenter le volume de bœuf et de porc vendus à des prix inférieurs au coût de production, comme l’AECG vise apparemment à le faire, n’est pas une solution : c’est un problème.
Marchés publics locaux
Au Canada, le mouvement en faveur de l’alimentation locale prend de l’ampleur et de nombreux consommateurs urbains recherchent des aliments produits par les fermières de leur région. De nombreux conseils municipaux, écoles, prisons et hôpitaux canadiens mettent en œuvre des politiques d’approvisionnement alimentaire local. Ils entendent leurs électeurs qui souhaitent soutenir et promouvoir les produits alimentaires « maison » et ils anticipent également les multiples avantages économiques et sociaux qui découlent d’une agriculture locale robuste et d’une économie de transformation des produits alimentaires à petite échelle. L’AECG entraverait gravement, voire stopperait, la progression des politiques d’approvisionnement en denrées alimentaires locales. Elle exige que les marchés publics à tous les niveaux du gouvernement soient ouverts aux entreprises de l’UE sur un pied d’égalité avec les entreprises canadiennes, et interdit les exigences en matière de contenu local pour tous les contrats dépassant le seuil annuel d’environ 330 000 dollars. L’AECG empêche les organismes publics de diviser leurs marchés publics en plus petits morceaux pour éviter de franchir le seuil. Ainsi, l’AECG empiète sur les souhaits exprimés par les Canadiens d’utiliser les marchés publics, en particulier pour les denrées alimentaires, mais pas seulement, comme un mécanisme de soutien aux activités économiques de valeur locale. Cela est profondément antidémocratique et, dans le cas de l’approvisionnement alimentaire, contraire à la sécurité et à la souveraineté alimentaires.
Règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS)
Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) permettent aux entreprises étrangères de poursuivre directement les gouvernements fédéral, provinciaux et locaux pour obtenir des compensations si elles estiment que les mesures de protection de l’environnement, de la santé publique ou d’autres mesures nationales les empêchent de réaliser des bénéfices ou d’accéder au marché. Ces différends entre investisseurs et États sont entendus par des arbitres commerciaux privés qui sont payés pour chaque affaire qu’ils entendent. En vertu du chapitre 11 (un mécanisme d’ISDS) de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les gouvernements canadiens ont été poursuivis trente-cinq fois. Dans certains cas, les litiges ont été réglés entre les deux parties et dans d’autres, ils ont été soumis à un arbitre. Jusqu’à présent, les contribuables canadiens ont versé 171,5 millions de dollars aux entreprises à la suite de ces procès et certaines réglementations environnementales ont été abrogées ou édulcorées.
Les mesures de protection des investisseurs incluses dans l’AECG accordent sans doute des droits encore plus importants aux investisseurs étrangers que les droits accordés dans l’ALENA. Les « attentes légitimes » au titre de la clause du « traitement juste et équitable » (TFE) offrent aux investisseurs un outil pour lutter contre les changements réglementaires qu’ils jugent contraires à leurs intérêts. Le concept de FET est l’outil le plus souvent utilisé par les entreprises dans les affaires ISDS et c’est l’argument qui a le plus de succès devant les tribunaux. Les tribunaux ont toujours interprété la FET comme offrant un environnement réglementaire stable aux entreprises, même si des réglementations nouvelles ou modifiées sont mises en œuvre à la suite de nouvelles connaissances ou d’un mandat démocratique.
En réponse à la pression publique et aux inquiétudes concernant la pollution de l’eau, la province de Québec a mis en place un moratoire sur la fracturation en 2011. En 2012, Lone Pine Resources a lancé un recours contre l’ALENA et demande 250 millions de dollars plus les intérêts à titre de dommages et intérêts. En 2004, la province de Terre-Neuve-et-Labrador a imposé aux compagnies pétrolières offshore d’investir une partie de leurs revenus dans la recherche et le développement locaux. Mobil Investments et Murphy Oil ont déposé une plainte contre le Canada dans le cadre de l’ALENA en 2007. Malgré l’inclusion d’une « réserve » pour les exigences en matière de recherche et de développement dans l’ALENA, qui était censée assurer la protection de ces mesures, en 2012, les arbitres ont statué contre le Canada. Philip Morris conteste actuellement la décision du gouvernement australien d’adopter une loi sur l’emballage neutre des produits du tabac. L’un des arguments avancés par Philip Morris est qu’il existe d’autres politiques visant à réduire le tabagisme qui n’auraient pas d’incidence négative sur les résultats de Philip Morris.
En réponse à la pression publique, le gouvernement de l’Ontario a récemment présenté une proposition de règlement visant à limiter l’utilisation des traitements de semences à base de néonicotinoïdes dans le maïs et le soja. En proposant ce règlement, le gouvernement de l’Ontario a déclaré qu’il adoptait une approche de précaution pour protéger la santé des abeilles et des autres pollinisateurs et qu’il s’efforçait de réduire de 80 % l’utilisation des traitements de semences à base de néonicotinoïdes dans le maïs et le soja d’ici à 2017. D’autre part, le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de l’Agence de réglementation de la gestion des pesticides (ARLA), a choisi de réglementer cet insecticide dans le cadre d’une approche de gestion des risques. Bien qu’elle ait conclu que les traitements de semences à base de néonicotinoïdes dans les régions productrices de maïs et de soja de l’Ontario, du Québec et du Manitoba étaient responsables d’un grand nombre de mortalités d’abeilles, le seul changement significatif mis en œuvre par l’ARLA est l’obligation pour les fermières d’utiliser l’agent Fluency (un produit de Bayer CropScience) comme lubrifiant dans les semoirs pneumatiques. L’approche du gouvernement fédéral en matière de gestion des risques permettra aux fabricants et aux négociants de néonicotinoïdes, y compris les deux entreprises européennes qui produisent et vendent la majeure partie de l’offre mondiale – Bayer CropScience (basée en Allemagne) et Syngenta (basée en Suisse) – de continuer à tirer profit de la vente de néonicotinoïdes.
On ne sait pas si les restrictions imposées par le gouvernement de l’Ontario sur l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes pourraient faire l’objet d’une procédure ISDS couronnée de succès, mais il semble qu’il existe un potentiel pour qu’une entreprise chimique dépose une plainte. Un ancien fonctionnaire du gouvernement canadien a déclaré qu’après la signature de l’ALENA, les lettres des cabinets d’avocats américains sur les projets de réglementation environnementale sont devenues monnaie courante et que, par conséquent, de nombreuses mesures potentielles de protection de l’environnement n’ont jamais vu le jour. Le Québec a été confronté à des problèmes liés à l’ALENA après avoir répondu à la pression publique et pris des décisions visant à interdire la fracturation hydraulique et à limiter l’utilisation de pesticides à des fins esthétiques. Cette dernière décision a également conduit Dow Chemical à introduire un recours en vertu du chapitre 11 de l’ALENA. Après avoir examiné des études récentes sur les avantages en termes de rendement de l’utilisation des néonicotinoïdes et des études sur l’impact chronique et aigu des insecticides sur les pollinisateurs domestiques et indigènes, le gouvernement de l’Ontario adopte une approche de précaution. Le gouvernement fédéral utilise une approche de gestion des risques. Cette différence d’approche réglementaire pourrait-elle permettre aux entreprises chimiques d’introduire un recours dans le cadre de l’ISDS au motif qu’elles ne bénéficient pas d’un « traitement juste et équitable » de la part de tous les niveaux de gouvernement ?
Les investisseurs utilisent les mécanismes ISDS comme outil de lobbying. Elles peuvent s’adresser aux régulateurs et aux législateurs en leur faisant comprendre qu’une procédure ISDS pourrait être engagée s’ils prennent une mesure d’intérêt public susceptible d’entraver la capacité de l’entreprise à réaliser des bénéfices ou à accéder à un marché. Conscients des ressources financières limitées dont ils disposent pour protéger l’intérêt public contre les actions en justice intentées par des entreprises aux moyens considérables, les gouvernements peuvent décider qu’il est fiscalement prudent de ne pas introduire les nouvelles réglementations. L’AECG renforce et codifie les droits des investisseurs en permettant une interprétation plus large de concepts tels que le « traitement juste et équitable ». L’AECG donne aux investisseurs une arme plus puissante pour faire avancer leur agenda et invoquer le « refroidissement législatif ». L’AECG recommande que les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États soient supprimés de tous les accords commerciaux, y compris l’AECG.
Droits de propriété intellectuelle et AECG
Dans les centaines de pages de l’AECG, une section est spécifiquement consacrée à l’application des « droits de propriété intellectuelle ». La propriété intellectuelle désigne la propriété privée des connaissances, des inventions, des œuvres de création et des techniques, c’est-à-dire de la production culturelle, y compris les semences, qui étaient autrefois partagées librement. Les droits de propriété intellectuelle tels que les droits d’auteur, les marques déposées, les brevets et les droits d’obtenteur sont des outils juridiques permettant de restreindre l’accès et d’accorder aux créateurs/propriétaires un délai limité (20 ans pour les droits d’obtenteur) pour percevoir des redevances de la part de ceux qui souhaitent utiliser les connaissances protégées.
Le Canada n’autorise pas le brevetage des formes de vie supérieures telles que les plantes, mais autorise le brevetage des séquences de gènes. Ces constructions génétiques brevetées sont ensuite incorporées dans les cellules des plantes par le biais de processus de modification génétique. Les entreprises de biotechnologie ont pu utiliser leurs droits de brevet pour contrôler l’accès aux semences de variétés génétiquement modifiées (OGM) de canola, de soja, de betterave sucrière et de maïs.
Les droits d’obtenteur sont des droits de propriété intellectuelle définis par la législation nationale. Les règles visant à reconnaître et à définir la propriété privée des nouvelles variétés végétales ont été établies dans les années 1960 par la convention UPOV. Depuis lors, l’industrie des semences a utilisé les droits d’obtenteur et les brevets sur les gènes, ainsi que les contrats et les hybrides, pour accroître son contrôle et ses revenus issus de la production commerciale de semences et de la vente de semences aux fermières du monde entier. Ces outils permettent aux entreprises de privatiser les nouvelles variétés qu’elles tirent des milliers d’années de coutume et de tradition des fermières, des populations indigènes et des sélectionneurs publics de créer et de partager des semences entre eux.
Les droits d’obtenteur ont contribué à faciliter la concentration dans le secteur des semences. Dix entreprises mondiales seulement contrôlent aujourd’hui plus des trois quarts du commerce mondial des semences. Si l’AECG est ratifié, les nouvelles mesures d’application des DPI permettront à ces entreprises de devenir encore plus puissantes. Ces pouvoirs d’exécution renforcés seront utilisés pour soutirer encore plus de richesses aux fermiers canadiens et à leurs communautés, pour intimider et pour promouvoir une culture de la peur.
En vertu de l’article 12 de la section 22 de l’AECG, le Canada et l’Europe conviennent de coopérer pour promouvoir et renforcer le système de protection des obtentions végétales de l’UPOV. Le Canada a accepté d’introduire de nouvelles mesures d’application des DPI dans le cadre de l’accord. Pour se conformer à l’AECG, le Canada devra modifier ses lois afin que les détenteurs de DPI puissent recourir aux tribunaux pour obtenir des injonctions contre des contrefacteurs présumés – tels qu’un fermier accusé de détenir une variété végétale protégée ou une variété de semences génétiquement brevetées – avant de déterminer s’il y a eu ou non une violation réelle.
Les juges seront habilités à ordonner la saisie des biens, des équipements et des stocks des contrevenants présumés, avant même que l’affaire ne soit entendue par un tribunal. À la lumière de l’arrêt Schmeiser rendu par la Cour suprême en 2004, qui fait droit aux plaintes pour violation de brevet quelle que soit la manière dont les semences OGM en question se sont retrouvées dans le champ d’une fermiere, cette clause fait froid dans le dos.
Les mécanismes d’application des DPI prévus à la section 22, article 18, Mesures provisoires et conservatoires, doivent être utilisés pour faire respecter les lois de chaque pays. Si l’AECG est adoptée, les titulaires de droits d’obtenteur pourront ajouter ces nouveaux outils à leur capacité actuelle d’intenter une action en justice s’ils estiment que quelqu’un a vendu – ou pourrait vendre – des semences protégées par des droits d’obtenteur sans l’autorisation de l’entreprise. Ils peuvent demander aux tribunaux d’arrêter le contrefacteur présumé, de saisir les semences en question et même de geler les comptes bancaires de la personne avant que l’affaire ne soit entendue par le tribunal.
L’AECG met en œuvre le gouvernement d’entreprise mondial
L’adoption de l’AECG modifierait en fait notre Constitution de manière cachée, car elle restreindrait le champ d’action dont disposent les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux. L’AECG limiterait les pouvoirs des gouvernements élus d’adopter des lois, des règlements et des décisions politiques contraires à cet accord. Au lieu que les tribunaux canadiens décident si une loi controversée est ultra vires (autorisée par notre Constitution), un tribunal commercial non élu pourrait décider qu’une loi donnée, bien que légale en vertu de notre Constitution, est en violation de l’AECG et ordonner à un gouvernement de payer une restitution à une société et/ou de modifier sa loi.
L’AECG, tout comme l’ALENA et d’autres accords sur le commerce et l’investissement, ne visent pas vraiment à promouvoir le commerce – des mécanismes efficaces tels que l’OMC existent déjà pour gérer le commerce – mais plutôt à créer des règles qui régissent les relations entre les gouvernements et les entreprises. Ces accords renforcent le pouvoir et le contrôle des entreprises mondiales sur les économies nationales. Dans le même temps, les « accords commerciaux » tels que l’AECG émoussent et affaiblissent à la fois les outils économiques et juridiques que les gouvernements nationaux peuvent utiliser pour façonner leur avenir en fonction des aspirations des citoyens.
Si l’AECG restreint le champ d’action des gouvernements dûment élus, il accorde des privilèges et des avantages aux investisseurs étrangers, aux entreprises et à certains employés de ces entreprises. L’AECG accorde le statut de « nation la plus favorisée » aux investisseurs et aux investissements des pays de l’UE, en exigeant des gouvernements infranationaux (provinces et municipalités) ainsi que du gouvernement fédéral, qu’ils accordent ce statut aux entreprises européennes et à leurs propriétaires. Une fois l’AECG adopté, les privilèges accordés aux entreprises européennes, à l’exception de l’accès aux marchés publics, seront également étendus aux entreprises des États-Unis et du Mexique, car ils bénéficient du statut de « nation la plus favorisée » par le biais de l’ALENA.
On pourrait citer bien d’autres aspects de cet accord. Mais, à la lumière du jour, ce n’est rien d’autre qu’une déclaration des droits de l’entreprise et une énorme facture à payer par les citoyens du Canada et de l’Europe.
The demande donc instamment au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de recommander que le Canada se retire de l’AECG.
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Notes de bas de page :
[1] Tableau CANSIM 003-0007 – Approvisionnement et utilisation des produits laitiers au Canada, annuel (tonnes), Statistique Canada
[2] La politique agricole commune (PAC) et l’agriculture en Europe – Questions fréquemment posées, Commission européenne, http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-631_en.htm
[3]EU-28 Importations en provenance du Canada, Commission européenne,Direction générale de l’agriculture et du développement rural http://ec.europa.eu/agriculture/statistics/trade/2013/eur28ag/page_224.pdf
[4]Porc – Rapport sur le marché, site web du gouvernement du Canada. http://www.canadainternational.gc.ca/eu-ue/policies-politiques/reports_pork-porc_rapports.aspx?lang=eng
[5] Commission européenne, Établissements de pays tiers https://webgate.ec.europa.eu/sanco/traces/output/CA/RM_CA_en.pdf
[6] Recensement de l’agriculture, tableau 004-0001,
[Le seuil pour l’achat de biens par les gouvernements infranationaux est de 200 000 DTS. Le DTS est l’acronyme de « droits de tirage spéciaux » et est un mécanisme mis en place par le Fonds monétaire international pour fournir un étalon de valeur internationalement reconnu. Le taux du DTS est calculé à partir des valeurs de l’euro, du yen japonais, de la livre sterling et du dollar américain et est publié quotidiennement sur le site web du FMI. Le 4 décembre 2014, 1 DTS = 1,655360 $ CAN http://www.imf.org/external/np/exr/facts/sdr.htm
[8] AECG Section 21. Marchés publics, Chapitre X, Marchés publics, Article II Champ d’application et couverture : « Lorsqu’elle estime la valeur d’un marché afin de déterminer s’il s’agit d’un marché public couvert, l’entité adjudicatrice doit : (a) ne divise pas un marché en plusieurs marchés distincts, ni ne sélectionne ou n’utilise une méthode d’évaluation particulière pour estimer la valeur d’un marché dans l’intention de l’exclure totalement ou partiellement de l’application du présent chapitre ; et b) inclut la valeur totale maximale estimée du marché sur toute sa durée, qu’il soit attribué à un ou plusieurs fournisseurs, en tenant compte de toutes les formes de rémunération, y compris : i) les primes, honoraires, commissions et intérêts ; et ii) lorsque le marché prévoit la possibilité de recourir à des options, la valeur totale de ces options. http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/ceta-aecg/text-texte/21.aspx?lang=eng
[9] Eberhardt, Pia, Blair Redlin et Cécile Toubeau. Le commerce de la démocratie. Comment les règles de protection des investisseurs de l’AECG menacent le bien public au Canada et dans l’UE. Publié par Aitec et. al. novembre 2014. p. 3.
[10]Eberhardt et al.
[11] Eberhardt et al, p. 5.
[12] Eberhardt et. al. p. 12.
[13] Santé Canada, Évaluation des mortalités d’abeilles canadiennes en 2013 liées aux pesticides néonicotinoïdes, rapport provisoire en date du 26 septembre 2013.
[14] Eberhardt et al, p. 4.
[15] L’UPOV est l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales ou l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales.
[16] Les hybrides sont produits en croisant deux lignées parentales consanguines de manière contrôlée afin de produire une génération de descendants présentant des caractéristiques prévisibles et souhaitables de chaque parent. Lorsque les semences de la culture hybride sont plantées, la génération suivante qui en résulte aura des niveaux variables des caractéristiques souhaitées, ce qui signifie que les fermières qui utilisent des semences hybrides doivent acheter de nouvelles semences chaque année. Les semences hybrides sont utilisées pour produire la majeure partie du maïs cultivé au Canada.
[17] Le cartel avant le cheval …et la ferme, les semences, le sol, les paysans, etc. : qui contrôlera les intrants agricoles en 2013 ? ETC Group, septembre 2013 http://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/CartelBeforeHorse11Sep2013.pdf
[18] Convention internationale pour la protection des obtentions végétales
[19] AECG Section 22 Propriété intellectuelle, Article 12 Variétés végétales, Texte consolidé de l’AECG http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/ag r-acc/ceta-aecg/text-texte/toc-tdm.aspx?lang=eng
[20] Article 22 de l’AECG, propriété intellectuelle, article 18, mesures provisoires et de précaution, et article 19, autres mesures correctives. http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/ceta-aecg/text-texte/toc-tdm.aspx?lang=eng
[21] AECG Section 22 Propriété intellectuelle, article 18, Mesures provisoires et de précaution. http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/ceta-aecg/text-texte/toc-tdm.aspx?lang=eng