Prix Paul Beingessner Concours d’essai Union Nationale des Fermiers
Par : Rebecca MacInnis (Age 26)
Il n’est pas surprenant que l’agriculture, comme beaucoup de choses dans notre nation coloniale, ait été construite sur le dos et sans la reconnaissance des Noirs et des indigènes. Du vol et du mépris des terres et des pratiques autochtones à l’exploitation flagrante des corps noirs pendant l’esclavage et au-delà, en passant par le mauvais traitement des travailleurs migrants, notre système alimentaire capitaliste et exploiteur est intrinsèquement défectueux.
L’agriculture n’existe pas en vase clos, elle est intimement liée à la vie quotidienne de tous les habitants de la planète. Rendre le système alimentaire plus juste signifie modifier tous les éléments avec lesquels il interagit. Une grande partie des messages concernant l’activisme dans les médias grand public cible l’individu et prétend que les choix des consommateurs ont un impact et peuvent faire la différence. Si le fait de « voter avec ses dollars » ne doit pas être négligé dans tous les contextes, il est particulièrement préjudiciable lorsqu’il s’agit de nourriture, un produit que nous consommons tous au quotidien. L’achat local et biologique est présenté comme propre et moral, tandis que les plats préparés sont considérés comme sales et bon marché.
Cette justification rejette la responsabilité sur le mangeur en établissant un jugement basé sur ce qu’il peut se permettre. La question systémique en jeu ici est celle de l’inégalité du travail et de la liberté de choix. Pour amorcer la transition vers un système alimentaire plus juste et antiraciste, nous devons d’abord prendre en compte le mouvement syndical. Pour moi, un système alimentaire antiraciste et socialement juste commence par une augmentation du salaire minimum et une amélioration des droits des travailleurs et se termine par l’abolition du capitalisme. Tout changement qui dépend encore d’un fonctionnement dans un cadre capitaliste est destiné à rester une exploitation par nature. La pandémie de Covid-19 a mis en lumière l’exploitation dans notre société et a rendu plus évident que jamais le fait que les personnes les moins bien rémunérées sont les plus essentielles. Nous devons recadrer notre monde et nos esprits pour entamer cette transition.
Les droits du travail doivent être remis en question dans tous les domaines, et pas seulement auprès des consommateurs. Qui peut se permettre d’acheter quoi, et pourquoi certains travaux méritent-ils un salaire plus élevé ? Il s’agit d’un problème qui peut être mis en évidence dans les exploitations agricoles de tout le Canada. La norme actuelle veut que les stages agricoles, en particulier dans les petites exploitations biologiques, ne soient pas rémunérés. Cette norme est préjudiciable, car tout travail devrait être rémunéré, mais surtout parce qu’elle crée une barrière à l’entrée qui fait que seules les personnes suffisamment privilégiées peuvent acquérir les « qualifications » nécessaires pour devenir fermières. La corporatisation de notre système alimentaire a favorisé la dégradation des connaissances agricoles, mais le travail non rémunéré ne devrait pas être la méthode par laquelle nous les réintroduisons. Nous sommes arrivés à un point où nous devons nous éloigner des cours magistraux dispensés par des hommes blancs, sans tenir compte des connaissances traditionnelles sur lesquelles ils sont si souvent fondés. Nous devons nous éloigner de la mauvaise représentation qui montre l’agriculture comme une monoculture de visages blancs. Nous connaissons les effets négatifs des monocultures et nous devons renforcer, diversifier et créer de la résilience dans notre système.
C’est à ce moment-là que nous, jeunes fermières et fermiers, devons nous mobiliser. En tant que colon blanc, je dois me décentrer de cette histoire et nous, les jeunes, devons faire preuve de solidarité et amplifier les voix des pêcheurs m i’kmaq qui exercent leurs droits issus des traités, des travailleurs migrants qui luttent pour un logement décent, des fermiers de couleur du Nord-Est qui travaillent pour que les terres soient confiées à des fiduciaires. Nous devons faire plus que reconnaître notre présence sur les terres indigènes, dans mon cas les Mi’kma’ki non cédés. Nous devons participer au mouvement Land Back: restituer les terres et exiger le respect des droits issus des traités. Nous devons abolir la police, créer des logements abordables pour tous et exiger des salaires décents. Nous devons être solidaires des mouvements paysans de base et faire pression en faveur d’une réforme agraire pour redistribuer les ressources foncières. Nous devons travailler en coopération et nous opposer à la mainmise des entreprises. L’alimentation est politique. Puissions-nous, nous les jeunes, exploiter ce fait en regardant au-delà du système agricole pour rendre la société dans son ensemble plus antiraciste et plus juste.