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Le projet de loi C-18 et le privilège des fermiers – Qu’en est-il ?

Le ministre fédéral de l’agriculture, Gerry Ritz, affirme que le projet de loi C-18, la loi sur la croissance de l’agriculture, n’empêchera pas les fermières de conserver leurs semences. Mais raconte-t-il toute l’histoire ?

« Si vous décidez de conserver les semences de vos cultures, vous avez la possibilité de le faire et, encore une fois, de payer la redevance au moment de la vente. – Ministre de l’agriculture Gerry Ritz, 9 décembre 2013

La déclaration du ministre Ritz nous apprend que si le projet de loi C-18 est adopté, les fermiers devront payer des « redevances de fin de campagne » au semencier sur l’ensemble de leur récolte s’ils conservent et replantent des variétés bénéficiant de la protection du droit d’obtenteur. Il s’agit d’un plan « économisez (vos semences) maintenant, payez plus tard » qui rapportera probablement plus d’argent aux semenciers qu’ils n’en obtiendraient en percevant simplement les redevances sur les semences au moment de la plantation.

Le projet de loi C-18 donnerait aux obtenteurs de plantes le droit exclusif d’obtenir des droits de propriété intellectuelle :

  • produire et reproduire des semences protégées par le droit d’obtenteur ;
  • conditionner ces semences en vue de leur plantation ;
  • vendre les semences ;
  • exporter ou importer les semences ;
  • utiliser les semences de manière répétée pour produire des semences hybrides commerciales ;
  • utiliser des plantes ornementales ou leurs parties pour produire des plantes ornementales ou des fleurs coupées ;
  • et de stocker des semences afin d’effectuer l’une ou l’autre des opérations susmentionnées.

Le projet de loi C-18 confère également aux obtenteurs de végétaux des droits exclusifs leur permettant d’autoriser, sous condition ou sans condition, l’une quelconque des activités susmentionnées et de subordonner le paiement d’une redevance à une condition.

Le projet de loi C-18 accorde non seulement aux entreprises semencières des droits exclusifs sur les semences protégées par le droit d’obtenteur, mais aussi les mêmes droits sur le matériel récolté (c’est-à-dire les cultures) si elles n’ont pas eu l’occasion d’exercer plus tôt leurs droits sur les semences utilisées pour les planter (voir la section 5).

Le « privilège des fermières » est facultatif dans le cadre de l’UPOV 91. La Convention UPOV stipule qu’elle ne doit être autorisée que « dans des limites raisonnables et sous réserve de la sauvegarde des intérêts légitimes de l’obtenteur ». On est loin d’une « consécration » du droit des fermières à conserver leurs semences.

Bien que le projet de loi C-18 prévoie le « privilège des fermiers » facultatif, il ne permet aux fermiers que de produire et de reproduire des semences protégées par le droit d’obtenteur et de conditionner les semences à des fins de plantation, et ce, uniquement sur leur propre exploitation (voir la section 5).

La disposition relative au privilège des fermiers figurant dans le règlement C-18 n’inclut pas le stockage de semences. Le projet de loi C-18 ne protège pas les fermières contre les accusations d’atteinte aux droits des titulaires de droits d’obtenteur pour l’une ou l’autre de ces pratiques traditionnelles :

  • Stocker les semences récoltées à l’automne pour les planter au printemps.
  • Stocker les céréales invendues dans des silos dans la cour de la ferme, car elles pourraient être utilisées pour cultiver davantage de blé.
  • Nettoyer trois ans de semences pour se prémunir contre les mauvaises récoltes, les maladies ou le gel.

Pire encore, l’article 50 (4) du projet de loi C-18 permet au gouverneur en conseil (c’est-à-dire au Cabinet) de prendre des règlements pour limiter encore davantage les dispositions relatives au privilège des fermières. Ces règlements peuvent :

  • Exclure des catégories de fermiere
  • Exclure les variétés végétales
  • Exclure les utilisations de matériel récolté
  • Restreindre l’utilisation par les fermières du matériel récolté
  • Imposer des conditions à l’utilisation par les fermières du matériel récolté
  • Stipuler ce qui doit être considéré comme un « conditionnement » des semences.

Nous ne connaissons pas le texte de la future réglementation canadienne en matière de droits d’obtenteur, mais nous pouvons nous attendre à ce qu’elle suive le document d’orientation officiel de l’UPOV 91, qui stipule que le privilège des fermiers doit être compris comme « se rapportant à des cultures sélectionnées où le produit de la récolte est utilisé à des fins de propagation, par exemple les céréales à petits grains où le grain récolté peut également être utilisé comme semence … ». Il ajoute qu' »il peut être considéré comme inapproprié d’introduire l’exception facultative pour les secteurs agricoles ou horticoles, tels que les fruits, les plantes ornementales et les légumes, où il n’est pas courant que le produit de la récolte soit utilisé comme matériel de multiplication ».

Le document d’orientation de l’UPOV suggère également que les pays « limitent le niveau des semences de ferme aux niveaux qui étaient couramment pratiqués avant l’introduction de la protection des variétés végétales ». Au Canada, cette recommandation pourrait être utilisée pour restreindre, voire interdire, la conservation des semences de maïs, de soja et de canola, que de nombreux fermiers, mais pas tous, achètent chaque année.

Le document d’orientation précise également que « pour les cultures pour lesquelles l’exception facultative est introduite, l’obligation de verser une rémunération aux obtenteurs pourrait être envisagée comme un moyen de sauvegarder les intérêts légitimes des obtenteurs ». Cette recommandation est conforme aux déclarations publiques du ministre Ritz selon lesquelles les fermières pourront conserver les semences protégées par le droit d’obtenteur, mais devront payer des redevances finales lorsqu’elles vendront leurs récoltes.

Le projet de loi C-18 est donc le suivant :

  • un renforcement considérable des droits des obtenteurs de plantes à contrôler les nouvelles variétés ;
  • une disposition limitée permettant aux fermiers de conserver et de nettoyer les semences en vue de les replanter ; et
  • une marge de manœuvre pratiquement illimitée pour les gouvernements actuels et futurs, qui peuvent utiliser la réglementation pour supprimer ou restreindre davantage les privilèges des fermières.
  • un système conçu pour permettre aux semenciers d’obtenir plus d’argent des fermières

Le ministre Ritz ne nous a donc raconté qu’une partie de l’histoire. Un fermiere a expliqué la situation de la façon suivante : Le projet de loi C-18, c’est comme déplacer du bétail. Vous commencez par les rassembler dans un grand corral, puis vous fermez les portes derrière eux une à une jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus se retourner. À terme, il n’y aura guère d’autre choix que d’acheter des semences et de payer des redevances chaque année.

Pendant ce temps, les multinationales des semences attendent avec impatience l’argent et le pouvoir qu’elles gagneront en renforçant leur contrôle sur l’approvisionnement en semences du Canada, sur nos pratiques agricoles et, en fin de compte, sur notre alimentation.