« Si le chemin de fer gagne, nous sommes tous finis ».
La plupart des fermières sont trop occupées en cette période de l’année pour prêter attention à la plainte concernant le niveau de service qu’une société céréalière de l’Alberta a déposée contre le CN. Moi aussi. Mais une remarque fortuite d’un ami m’a fait sortir de ma préoccupation pour le travail préalable et m’a coûté quelques heures d’insomnie.
Mon ami se rendait à une réunion avec un ancien cadre du CN. Bien qu’elle ne soit plus employée par le chemin de fer, cette personne reste un observateur attentif du secteur. Ils discutaient de la plainte déposée par Great Northern Grain auprès de l’Office des transports du Canada lorsque l’ancien membre du personnel du CN a déclaré que si l’Office rendait une décision défavorable à GNG, alors « nous étions tous finis ». Cette remarque est surprenante de la part d’une personne qui, il y a quelques années, aurait défendu les chemins de fer avec acharnement.
Mais c’est probablement vrai. Cela peut être vrai même si l’Agence donne raison à GNG et à la myriade de petites sociétés céréalières, de groupes de pression agricoles et à la CCB, qui soutiennent sa plainte. En effet, les décisions de l’Agence sont peu contraignantes et les compagnies ferroviaires peuvent choisir de suivre les parties qu’elles souhaitent et d’ignorer le reste. (Les chemins de fer et l’Agence le nieraient, mais les affaires Naber Seeds de 1998, 2000 et 2001 l’illustrent bien. Naber a gagné la première plainte concernant le niveau de service, mais a dû en lancer une deuxième et une troisième pour que le chemin de fer fournisse le service qui lui avait été ordonné après la première affaire. Naber Seeds a ensuite fait faillite).
La plainte de GNG repose sur l’évolution continue de la politique d’attribution des wagons du CN. Avant 2000, l’attribution des wagons de céréales par les chemins de fer était largement régie par une politique élaborée conjointement par les sociétés céréalières, la CCB et les chemins de fer. Toutefois, en 2000, les chemins de fer ont déclaré unilatéralement qu’ils mettraient en place leurs propres mécanismes d’attribution des wagons, et l’industrie pouvait l’accepter ou le refuser. Comme les taux d’incitation précédents, les politiques d’attribution des wagons mises en place par les chemins de fer ont été conçues pour servir les intérêts des chemins de fer. Le principal d’entre eux est le désir des chemins de fer de s’approvisionner en céréales dans le plus grand nombre possible de wagons, à partir du plus petit nombre possible d’origines.
Les chemins de fer ont progressé lentement mais sûrement vers cet objectif. Les points de livraison de céréales sont passés de milliers il y a quelques décennies à quelques centaines aujourd’hui. Il est clair que les chemins de fer ne sont pas encore satisfaits. Les tarifs incitatifs ont été supprimés pour les places de 25 voitures il y a plusieurs années. L’incitation pour une place de 50 voitures a diminué, tandis que la valeur du chargement de 100 voitures ou plus en une seule journée a augmenté. En outre, il ne suffit plus de charger un train de 100 wagons. Le CN accorde les pauses les plus importantes aux silos qui peuvent le faire pendant 42 semaines consécutives. Selon les rumeurs qui circulent dans l’industrie céréalière, l’écart entre les taux d’incitation pour les places de 50 à 100 voitures continuera à augmenter, passant de 3 et 7 dollars actuellement à 2 et 8 dollars.
Ces actions ont une finalité claire. Les petits expéditeurs tels que les transformateurs de cultures spéciales, les installations de wagons de producteurs, les sociétés céréalières à point unique et même les petites sociétés de ligne seront désavantagés sur le plan économique de deux manières. Tout d’abord, ils ne pourront pas disposer d’un nombre suffisant de voitures pour faire face à l’activité qu’ils pourraient avoir autrement. Deuxièmement, ils paieront davantage pour les wagons qu’ils reçoivent que les plus grands chargeurs, ce qui les placera dans une situation concurrentielle défavorable et réduira leur viabilité.
En fin de compte, les chemins de fer se retrouveront avec exactement ce qu’ils veulent : quelques très gros expéditeurs. Les fermières se retrouvent avec des transports en camion plus longs, moins de concurrence dans le système de manutention des céréales, des entreprises de transformation qui échouent et des portefeuilles qui s’amenuisent.
En réponse à la plainte de GNG, le CN affirme que l’Agence n’a pas le droit d’interférer dans sa politique d’attribution des wagons. Selon le CN, l’Office a perdu ce droit en 1987, lorsque des modifications apportées à la loi sur les transports ont supprimé la protection de l’intérêt public de son mandat. L’Agence ne peut que décider si le CN n’a pas fourni un service adéquat à GNG. Le CN pourrait bien avoir raison si l’Office des transports du Canada interprète la loi de manière plus ou moins restrictive.
La déréglementation du transport des céréales est une expérience qui dure depuis des décennies. Il apparaît chaque jour plus clairement que l’expérience a échoué. Si les volumes de céréales sont en baisse, la fiabilité des mouvements a chuté. Les clients sont de moins en moins bien servis, tandis que les bénéfices des compagnies ferroviaires atteignent des sommets inespérés.
La plainte de GNG n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’autres expéditeurs avec lesquels j’ai discuté sont tout aussi inquiets, mais ils ont peur de mettre en péril leur mauvais service en se plaignant et en contrariant ainsi les chemins de fer tout-puissants.
Il est temps de réexaminer en profondeur la loi sur les transports au Canada et la liberté accordée aux chemins de fer. En ne fournissant pas un service adéquat et en concevant des programmes qui vont à l’encontre des besoins des expéditeurs, les chemins de fer ont perdu les privilèges que la déréglementation leur avait accordés.